- CRUCIFÈRES
- CRUCIFÈRESLes Crucifères constituent une importante famille de plantes dicotylédones représentée dans le monde entier, mais principalement dans les régions tempérées de l’hémisphère Nord. Leur proportion dans la flore phanérogamique diminue lorsqu’on s’éloigne des régions polaires; il y a 19 p. 100 de Crucifères dans la flore du Spitzberg, mais 1 p. 100 seulement au Sénégal.Les Crucifères peuplent la presque totalité des habitats et des milieux de vie possibles: sables et rochers maritimes, bords de ruisseaux, talus calcaires, pelouses humides ou sèches, cultures et jardins, bords de chemins, cailloutis et prairies de montagne... Les moutardes, choux, radis et quelques plantes ornementales (aubriéties, ibéris, giroflées) comptent parmi les Crucifères. Cette famille évoluée présente une grande homogénéité dans le type de fleur et le modèle de fruit.1. Un exemple: la moutarde des champsLa moutarde des champs (Sinapis arvensis ) est une plante herbacée, très commune dans les jachères et les cultures du printemps à l’automne. Ces «mauvaises herbes», d’une cinquantaine de centimètres de haut en moyenne, portent des feuilles alternes, un peu rudes au toucher en raison de leur pilosité, et des fleurs en grappes.Tout le végétal renferme des substances responsables de la saveur piquante et du pouvoir révulsif de la moutarde: un sénevol, le sinigroside, glucoside qui s’accumule dans certaines cellules, et une diastase hydrolysante, la myrosine, localisée dans d’autres cellules. Mis en contact par broyage en présence d’eau, avec la diastase spécifique, le sénevol libère un composé azoté et sulfuré, principe actif de la moutarde.À la floraison, des grappes de fleurs se développent à l’extrémité des tiges; elles sont dites indéfinies, c’est-à-dire que de nouveaux boutons floraux apparaissent continuellement vers le haut, tandis que vers le bas les fleurs s’épanouissent et se transforment en fruits.La fleurUne fleur épanouie présente de l’extérieur vers l’intérieur (fig. 1): quatre sépales d’un vert jaunâtre, en forme de gouttière étroite, disposés en croix; en alternance avec les sépales, quatre pétales jaunes comportant une partie dressée, étroite, l’onglet, terminée par un limbe étalé; six étamines, dont quatre plus grandes dépassent nettement la corolle; enfin le pistil formé de deux carpelles soudés par leurs bords. Les ovules, assez nombreux (une trentaine), ont une placentation pariétale; de plus, une «fausse cloison» située entre les carpelles sépare la cavité ovarienne en deux parties. Le style court est surmonté d’un stigmate double.Il faut ajouter la présence de nectaires, au nombre de quatre, petites boules vertes et brillantes sur le réceptable; deux se trouvent à l’extérieur des filets des grandes étamines et les deux autres entre le filet des petites étamines et l’ovaire. La pollinisation s’effectue donc normalement par l’intermédiaire des insectes qui, venant butiner le nectar, transportent en même temps du pollen de fleur en fleur (entomophilie).Le fruit ou siliqueLa silique, ainsi nommée en raison de sa ressemblance avec une gousse (siliqua signifiant cosse ou gousse), diffère fondamentalement du fruit des Légumineuses, car elle provient de deux carpelles (au lieu d’un seul) et s’ouvre par quatre fentes (au lieu de deux). La silique est en effet un fruit sec s’ouvrant par deux valves qui s’écartent de part et d’autre du cadre placentaire durci. Les graines alternent de chaque côté de la «fausse cloison», devenue une fine membrane parcheminée se déchirant facilement. La silique de la moutarde a des valves hérissées de poils, avec des nervures assez bien marquées; elle se termine par une partie conique stérile qu’on appelle le bec (style).L’embryon occupe la totalité de la graine qui ne comporte pas d’albumen; la radicule, recourbée, se trouve logée dans un des cotylédons, lui-même étroitement plié dans la gouttière formée par le deuxième. À la germination, la radicule se dégage la première et s’enfonce dans le sol, puis les deux cotylédons, verdissant rapidement, se déplient et s’écartent l’un de l’autre.2. La famille des CrucifèresLa description de la moutarde pourrait à peu près servir de définition à la famille des Crucifères, ce qui est le fait d’une famille homogène: les 4 000 espèces (plus de 350 genres dont 78 en France) ont presque toutes la même formule florale et des fruits du type de la silique. Dès le XVIe siècle cet «air de famille» avait frappé les botanistes, qui regroupaient déjà tous ces végétaux dans un même ensemble naturel.Caractères générauxCe sont des plantes herbacées à racine pivotante, dont les tiges portent des feuilles sans stipules, alternes ou toutes à la base. Elles élaborent des sénevols de types variés, qui leur donnent des propriétés médicinales et alimentaires. Les grappes florales, souvent odorantes et généralement de couleur vive, attirent les insectes. L’existence d’un appareil nectarifère renforce ce caractère d’entomophilie. Exceptionnellement, en l’absence d’insectes, il peut y avoir autofécondation; celle-ci devient la règle pour de petites plantes bordant les lacs, les Subularia , où la fécondation peut s’effectuer même si la fleur reste submergée. Les grappes, de type indéfini, n’ont pas de bractée. Le périanthe comporte des pièces non soudées: quatre sépales et, en alternance, quatre pétales (corolle dialypétale). Le nombre et la disposition des sépales et les pétales sont tellement constants et remarquables que l’on a donné le nom de Crucifères – ou porte-croix – à la famille, au lieu de l’appeler du nom d’un genre important. Six étamines forment l’androcée, et deux carpelles le pistil qui, après fécondation et maturation, devient une silique.Le plan de la fleur, son diagramme, apparaît simple et peu variable dans la famille, mais cette simplicité cache une grande complexité. Des anomalies permettent diverses hypothèses: ainsi, la fleur actuelle de Crucifère résulterait de la contraction de plusieurs fleurs (Motte, 1946). Pour Guyot (1962) les sépales et les carpelles représenteraient des bractées à l’aisselle desquelles partiraient les pétales et les étamines.Les graines, toujours sans albumen, se dispersent le plus souvent sous l’action mécanique de l’ouverture des valves du fruit, ouverture qui peut être brutale, chez la cardamine ; exceptionnellement, le fruit est enterré par la plante elle-même (Morisia hypogea ). On peut signaler l’existence d’une multiplication végétative par des bulbilles (Dentaria bulbifera, Cardamine pratensis ) et la biologie particulière de la rose de Jéricho (Anastatica acrochuntica ), des sables maritimes du Sud-Ouest asiatique et du Nord-Est africain: elle se met en boule sous l’effet de la sécheresse et s’étale largement lorsque l’atmosphère devient humide, présentant un phénomène de reviviscence.De nombreuses Crucifères sont cultivées dans les jardins et les champs comme plantes ornementales (monnaie-du-pape) ou alimentaires; antiscorbutiques, stimulantes et dépuratives, on les utilise en salade (cresson, radis...), condiment (moutarde...) ou légume (chou, navet...). On extrait de l’huile des graines de colza et de caméline. Certaines espèces servent de fourrage. D’autres enfin ont des propriétés tinctoriales, autrefois réputées, comme le pastel ou Isatis (teinture bleue).Variations du fruitHomogénéité ne signifie pas uniformité, puisqu’on distingue 4 000 espèces. C’est la silique qui offre le plus de variations, à tel point que l’on ne peut déterminer avec certitude une Crucifère sans en avoir le fruit.À partir d’un fruit qui reste fondamentalement une silique, toutes les variations sont possibles; variations dans la taille, la forme, le gabarit, l’ornementation, la déhiscence... (fig. 2). Il y a des siliques à section ronde (Brassica ), plate (Cardamine ) ou quadrangulaire (Barbarea ). Il y en a de longues (moutarde, chou), de courtes (Nasturtium, Aubrietia, Roripa ), de très courtes, appelées alors silicules (Capsella, Draba, Iberis, Biscutella , etc.). Certains fruits sont poilus, diversement nervurés, d’autres ont des ailes ou divers appendices plus ou moins ajourés; quelques-uns sont incomplètement déhiscents (Erucaria ) et d’autres ne le sont pas du tout (Raphanus , Crambe , Cakile ...). Ce sont des formes un peu aberrantes.3. SystématiqueLes Crucifères constituent soit un ordre (d’après Hutchinson), soit une famille dans l’ordre des Rhœadales (d’après Emberger).Principales tribusTrès schématiquement, on peut diviser les Crucifères en deux groupes: celles qui ont des siliques et celles qui ont des silicules; mais en fait la séparation n’est pas toujours aussi nette: siliques et silicules peuvent s’observer dans un même genre ou dans des genres voisins par d’autres caractéristiques. Il ne suffit donc pas d’un seul caractère pour fonder une systématique. Pour déterminer une Crucifère, on fait encore appel à la couleur et à la taille des fleurs, à la forme et à la disposition des feuilles, à la présence de poils étoilés ou simples, au plus ou moins grand développement du système nectarifère, à l’aspect des embryons... Le choix et la hiérarchisation des caractères peuvent varier selon les auteurs, ce qui explique les différences dans le nombre et le fractionnement des tribus; ainsi, il peut y avoir de dix à vingt tribus d’importance variable; on en reconnaît généralement quatre principales:– Brassicées. Cotylédons pliés dans la graine. Siliques complexes (avec un bec) et silicules indéhiscentes plus ou moins ouvragées.– Arabidées. Cotylédons plats. Système nectarifère régulier et assez complet. Siliques peu différenciées et silicules spécialisées.– Alyssées. Cotylédons plats. Système nectarifère réduit, souvent zygomorphe. Siliques et surtout silicules globuleuses ou à valves plates.– Lépidiées. Cotylédons plats. Système nectarifère réduit, souvent zygomorphe. Silicules à valves creuses et parfois plus ou moins globuleuses.Si l’on envisage ces tribus, non plus d’une manière purement descriptive et statique mais dans une perspective évolutionniste, les Arabidées semblent les plus proches de ce qu’on pense être le type primitif en raison de leur système nectarifère assez complet et de leurs siliques (cf. tableau). Par l’existence d’intermédiaires, les trois autres tribus s’y rattacheraient plus ou moins étroitement; les Alyssées ont un système nectarifère réduit, des siliques peu différenciées ou des silicules. Les Brassicées, avec un appareil nectarifère très réduit, ont réalisé, dans le type silique, une grande complexité. Enfin, les Lépidiées ont elles aussi des nectaires plus ou moins développés, mais sont caractérisées par des silicules très variées, plates, aux valves souvent très creuses.Autres tribus et répartition géographiqueCes quatre tribus ont des représentants dans la plupart des régions du globe, même si leur répartition est assez inégale. Mais il existe d’autres tribus beaucoup plus limitées en espèces et strictement localisées à certains pays: on les dit endémiques (fig. 3). L’une des tribus les plus typiques est celle des Pringlées, représentée par un seul genre et une seule espèce, le Pringlea antiscorbutica , spécial aux Kerguelen et à quelques îles de l’océan Antarctique; le «chou des Kerguelen» forme d’épaisses rosettes de feuilles; les fortes hampes florales portent de petites fleurs serrées. La pollinisation s’effectue par le vent (anémophilie).Le continent américain, surtout la partie ouest, possède bon nombre de Crucifères endémiques: les Schizopétalées (ainsi nommées en raison des pétales profondément découpés en lanières) n’ont que trois genres localisés à la Californie, le Mexique et le Chili. Les Streptanthées se situent sur la côte ouest des États-Unis, tandis que les Romanschultziées (un seul genre) n’existent qu’en Amérique tropicale. Les Crémolobées, aux silicules très ouvragées, ne poussent que dans les montagnes sud-américaines (Chili, Argentine, Patagonie, Équateur).La tribu des Héliophilées (quatre genres avec des siliques originales) et celle des Chamirées sont endémiques de l’Afrique du Sud; celle des Sténopétalées (un genre et huit espèces) de l’Australie.En Europe, il y a un endémique corse, le Morisia hypogea , remarquable, on l’a vu, pour sa manière d’enterrer ses silicules indéhiscentes formées de deux loges.Cette répartition géographique pourrait s’expliquer par l’ancienneté de la famille. Dès l’ère secondaire, les Crucifères primitives se seraient répandues sur toute la surface des terres émergées; mais, au Tertiaire, des lots d’espèces auraient été séparés par l’isolement des continents et auraient évolué en se spécialisant. Cette idée est encore renforcée par le fait que certains genres appartenant à une même tribu se trouvent comme «parachutés» en divers points du globe. Ainsi les Stanleyées d’Amérique du Nord ont un représentant dans l’île Sakhaline et un autre dans les montagnes de l’Altaï. Le Cakile , espèce des côtes eurasiatiques et d’Afrique du Nord, existe aussi sur certaines côtes américaines et australiennes. Ces plantes témoignent d’une aire de répartition très ancienne, beaucoup plus étendue, et n’auraient pratiquement pas évolué depuis cent cinquante ou deux cents millions d’années.Famille très ancienne donc, mais aussi très évoluée et spécialisée: la répartition géographique, d’une part, et la simplification du type floral ainsi que la complication à l’infini de la silique, d’autre part, en sont le signe visible de nos jours.crucifèresn. f. pl. BOT Famille de dicotylédones dialypétales superovariées dont la corolle à quatre pétales forme une croix et dont les fruits sont des siliques. Les crucifères sont très nombreuses: chou, navet, cresson, giroflée, etc.— Sing. Une crucifère.ÉTYM. 1762, crucifères; cruciféracées, XXe (Cruciférinées au XIXe); du lat. crucifer, de cruci-, -fère, et -acées.❖♦ Bot. Famille de plantes dicotylédones dialypétales comprenant des herbes annuelles dont les fleurs ont quatre pétales disposés en croix : le fruit est une capsule dite silique. Ex. : Alliaire, alysse ou alysson, cameline, cardamine, chou, cochléaria, crambé, cresson, giroflée, ibéride, julienne, lunaire, matthiole, monnoyère (monnaie-du-pape), moutarde, navet, passerage, pastel, radis, raifort, roquette, rose de Jéricho, thlaspi, tourette, vélar (sisymbre, herbe aux chantres). || Propriétés antiscorbutiques des cruciféracées.0 Il pouvait se rencontrer quelque utile plante qu'il ne fallait point dédaigner, et le jeune naturaliste fut servi à souhait, car il découvrit (…) de nombreux échantillons de crucifères, appartenant au genre chou, qu'il serait certainement possible de « civiliser » par la transplantation; c'étaient du cresson, du raifort, des raves et enfin de petites tiges rameuses, légèrement velues, hautes d'un mètre, qui produisaient des graines presque brunes (du tabac).J. Verne, l'Île mystérieuse, t. I, p. 330-331.
Encyclopédie Universelle. 2012.